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Dernier Episode

Le jour où Baumont

doit payer

pour ses crimes !

Episode 7

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Le Raffineur de Sainte-Croix
par Marius Dorgan

 

DERNIER EPISODE

 

 

 

Mais celui-ci le prévint, arrêta son bras, saisit M. de Germain et le repoussa violemment.

Le malheureux père alla tomber près du cadavre de Lucien en criant :

— Mon fils ! j'ai tué mon fils.

 

 

Chapitre 11. L'Estey de Bègles.

 

Le soir même des événements que nous avons raconté dans le chapitre précédent, une scène étrange se passait à un kilomètre de la raffinerie Sainte-Croix.

Il était dix heures, la nuit était sombre et la pluie tombait à torrents.

Un homme, péniblement appuyé sur un gros bâton noueux, traversait en ce moment la grande plaine qui s'étendait alors à l'endroit occupé aujourd'hui par la compagnie du chemin de fer du Midi.

Un large fossé vaseux, mais cependant assez profond, séparait la plaine que reliait vers le milieu un vieux pont en bois, complètement délabré.

C'était l'Estey de Bègles.

Arrivé près de ce pont, l'inconnu dont nous avons parlé plus haut et que la pluie avait littéralement trempé, crut prudent de se mettre à l'abri et d'attendre une occasion favorable de se remettre en route.

C'était un vieillard maigre, décharné, dont les reins commençaient à se courber. Une grande barbe grise encadrait son visage et donnait à sa physionomie une ex­pression sauvage.

Il était en haillons, et ses vêtements complétement déchirés annonçaient une grande misère.

Il s'avança vers le pont, ayant aperçu une grosse pierre placée au-dessous. Il en profita pour s'asseoir et se mettre quelque peu à l'abri.

Il tomba plutôt qu'il ne s'assit.

— Je suis harassé et mes jambes refusent de me porter plus longtemps, dit-il d'une voix faible.

« Depuis deux jours, je marche continuellement, tant il me tarde d'arriver à Bordeaux, et aujourd'hui que j'en suis aux portes, je n'ose plus avancer. »

Il resta un instant pensif, la tête dans les mains.

« Voilà donc, poursuivit-il, ce que la justice des hommes a fait du père Marcel, le vaillant raffineur de Sainte-Croix.

« Dix ans de prison ont suffi pour me mettre en cet état, et faire de moi un être inutile et rejeté par la société.

« Ah ! qu'elle est dure et pénible, la prison que subit un innocent !

« Et ma fille ! et ma Céline adorée !

« Et Joseph ! et Vertigau ! tous mes amis, enfin, que sont-ils devenus, depuis dix ans que la justice m’a flétri.

« Ma Céline surtout doit être grande, et maintenant elle est, je suppose, une brave et honnête femme de mé­nage. Je ne m'en suis pas inquiété, car je savais qu'elle avait trouvé deux pères au lieu d'un.

« Mais que sont-ils devenus ?...... J'ai honte d'entrer dans Bordeaux, la justice m'a marqué et les hommes doivent me croire coupable. lls fuiraient aujourd'hui celui dont ils aimaient autrefois à serrer la main. »

Cette pensée sembla l'affliger, et le malheureux raffineur retomba dans sa rêverie.

C'était bien le pauvre Marcel, que nous avons vu s’arrêter sous le pont de l'Estey de Bègles.

Il y avait deux jours que sa peine était finie, il l'avait subie non pas dans la prison de ville, mais dans un fort d'un département limitrophe, à cette époque servant de maison de détention.

Il était depuis un moment plongé dans ses tristes réflexions, lorsqu'il lui sembla entendre du bruit au-dessus de lui.

Il observa et vit une ombre se glisser furtivement le long de l'Estey.

Il n'osa pas bouger.

L'ombre avançait toujours à pas lents et une voix se fit entendre :

— Déshonorée ! disait cette voix..... Non, décidément, je ne puis vivre plus longtemps, et la mort seule doit venir mettre fin aux souffrances qui m'accablent.

L'ombre venait de s'arrêter et contemplait l'eau qui coulait tranquillement.

Puis, la voix reprit :

— J'ai peur, je tremble, et je ne me sens pas la force d'accomplir mon funeste projet.

« Mais, mon père ! mon père ! qu'un seul espoir soutient, que deviendra-t-il, si je meurs ?

« Folle ! insensée ! poursuivit la voix, mais aurai-je l'audace de m'approcher de ce père honnête, vertueux ? voudra-t-il seulement reconnaître sa fille adorée, dans cette femme flétrie qu'un misérable a souillée.

« Allons ! du courage ! la mort doit effacer cette tache. »

Et la jeune fille allait se précipiter dans l'Estey.

Mais Marcel, qui depuis un instant avait deviné sa funeste résolution, était près d'elle et l'arrêta.

— Arrêtez ! lui cria-t-il, vous si jeune, vous pensez au suicide.

La jeune fille, un instant étourdie par cette brusque apparition se remit bientôt.

— Oui, bien jeune, répondit-elle, mais bien malheu­reuse.

— Malheureuse, à votre âge ? lui demanda Marcel.

— Hélas ! oui, répondit la jeune fille, le malheur m'a frappée bien jeune.

— Pauvre enfant, dit le vieux raffineur.

— Tout enfant, continua-t-elle, j'ai perdu ma mère ; et mon père, faussement accusé par un misérable, a été mis en prison me laissant à la garde de deux de ses amis qui m'ont élevé comme leur fille.

— Votre père a été mis en prison ? demanda Marcel.

— Oui, mais il n'était pas coupable, répondit vivement la jeune fille, qui craignait de voir soupçonner son père. Et vous vous nommez ?

— Céline Marcel.

A ces mots le vieux raffineur sentit le sang lui monter à la tête et un éblouissement faillit le jeter dans l'Estey.

— Céline !... Céline !... s'écria-t-il, ah ! ma fille, je te retrouve enfin.

Et il se précipita dans les bras de la jeune fille qui le reçut en étouffant ce cri :

— Mon père !...

Après la scène qui s'était passée au contrat de mariage, après avoir raconté à M. de Germain les orgies de Lucien Baumont, Céline avait pris la résolution de ne plus vivre.

Elle se savait déshonorée, et la contraction nerveuse qui l'avait réveillée lui avait hélas appris la triste vérité. Elle prit donc la résolution de mourir.

Le soir, elle entra dans sa chambre comme à l’habitude, mais au lieu de se coucher, elle se mit à écrire un billet qu'elle laissa sur la table.

Lorsqu'elle n'entendit plus remuer dans la pièce voisine, c'est-à-dire lorsqu'elle crut Vertigau et Joseph couchés, elle retira ses bottines et sortit de la maison en évitant de faire le moindre bruit.

Nos lecteurs savent où elle allait.

Mais elle avait compté sans la vigilance de Vertigau qui ne dormait pas assez profondément pour ne pas entendre ce qui se passait dans la maison.

Il avait donc entendu remuer la porte et avait voulu s'assurer de ce qui se passait.

Il s'avança vers la chambre de Céline et l'appela à plusieurs reprises.

Personne ne répondit.

Il eut peur.

Alors il ouvrit la porte et pénétra dans la chambre. Quel ne fut pas son effroi en s'apercevant qu'elle était vide et que le lit n'avait pas été défait.

Il aperçut le papier que Céline avait laissé sur la table et le prit.

Voici ce qu'il lut :

« Mes chers amis,

« Un lâche, un misérable m'a déshonorée. La vie m'est à charge maintenant ; mieux vaut mourir que de vivre flétrie.

« Je me suis donc décidée à mourir.

« Lorsque vous aurez lu ces quelques lignes votre pauvre Céline ne sera plus qu'un cadavre.

« Pardonnez-moi, et pleurez la malheureuse infortunée qui meurt en vous bénissant.

« Céline Marcel.»

Le coup fut terrible pour Vertigau, il courut comme un fou vers la chambre de Joseph qui dormait profondé­ment.

Il le réveilla, lui raconta d'une voix étouffée par les sanglots ce qui venait de se passer et lui montra la let­tre.

— Non, non, s'écria Joseph après avoir lu, Dieu ne le permettra pas, et nous arriverons à temps pour la sau­ver..

Quelques secondes après, les deux amis étaient dans la rue ne sachant où diriger leurs pas.

Ils rencontrèrent un passant et le questionnèrent.

Fort heureusement celui-ci avait rencontré la jeune fille, et affirma l'avoir vue se diriger vers les plaines de Bègles.

Ce fut une révélation.

— Elle aura voulu se noyer et elle se sera dirigée vers l'Estey.

Ils repartirent en courant, prenant la direction qu'on venait de leur indiquer. Ils arrivèrent bientôt dans la grande plaine et se dirigèrent vers l'Estey.

A ce moment, ils entendirent un cri.

Marcel venait de reconnaître sa fille.

Ils s'avancèrent haletants, la poitrine oppressée, du côté d'où venait le cri et se trouvèrent bientôt en face du père et de la fille.

Céline les reconnut et se précipita dans les bras de Joseph en sanglotant.

— Ne m'en voulez pas ! s'écria-t-elle, la honte m’accablait et je ne me sentais pas le courage de supporter plus longtemps cette existence. J'allais accomplir mon sinistre projet, mais Dieu ne l'a pas voulu, puisqu'il a envoyé pour me sauver mon père, celui précisément devant qui je craignais de paraître.

— Marcel, s'écrièrent à la fois Joseph et Vertigau.

— Oui, Marcel, celui que la justice a traité en voleur... Mais racontez-moi donc ce qui a poussé ma Céline au suicide, dit le vieillard.

Joseph et Vertigau tremblèrent à cette demande. Ils n'osaient raconter la triste vérité.

Céline les tira d'embarras, après avoir fait l'éloge de ses deux pères adoptifs, après leur avoir exprimé sa reconnaissance pour les soins qu'ils lui avaient prodigués, elle raconta à son père les infamies de Lucien Baumont.

Marcel écouta avec résignation ce récit qui lui déchira plusieurs fois le coeur, quand elle eut finie, une grosse larme roula sur ses joues.        

— Mais ils ne sont donc pas tous morts, ces démons de l'enfer, s'écria-t-il. Allons ! décidément, Dieu veut que je me venge.

Et il tomba affaibli dans les bras de Joseph et de Vertigau, qui l'emmenèrent.

 

 

Chapitre 12. La provocation

 

Nous sommes à la veille de l'échéanee et de la paie si redoutées par Baumont.

Le misérable est dans son cabinet de travail. Il se promène en proie à une violente surexcitation, arpente l’appartement d'un bout à l'autre, en se frappant le front.

— C'en est fait, dit-il, la ruine arrive à grands pas, la raffinerie autrefois si prospère, tombe complètement, et je ne peux aujourd'hui ni faire face à mes engagements, ni solder la quinzaine de mes ouvriers. Je n'avais plus qu'un moyen pour sauver ma fortune, le mariage de Lucien avec mademoiselle de Germain, et ce moyen vient de m'échapper. Lucien est mort tué par son père.

« Décidément le ciel veut me punir. »

Baurnont en était là de ses réflexions lorsqu'un coup, légèrement frappé à la porte, vint l'en tirer.

Il alla ouvrir.

Un homme, un étranger entra.

Cet homme pouvait avoir soixante ans, mais son teint pâle, ses yeux hagards et ses joues caverneuses lui donnaient facilement l'aspect d'un vieillard de soixante-dix ans.

Il était vêtu de la petite veste qui distinguait autrefois les ouvriers raffineurs.

— Que désirez-vous, monsieur? lui demanda Baumont.

— Un moment d'entretien, répondit l'étranger. Qui êtes-vous, d'abord ?

— Ah ! vous ne me reconnaissez pas ? reprit l'inconnu, c'est que j'ai bien changé depuis dix ans que nous ne nous sommes vus.

— Mais enfin, qui êtes-vous ? s'écria Baurnont impatienté.

— Regardez-moi bien, reprit l'étranger...

— Eh bien ! vous ne me reconnaissez pas ?

— Non !

— Eh bien, je suis Marcel !

— Marcel ! cria Baumont, qui recula épouvanté devant cette apparition.

— Oui, Marcel, continua le vieux raffineur, celui que, par ruses et par mensonges, tu as fait enfermer pendant dix ans en prison, comme un vil criminel.

— Ah ! fit Baumont, voilà le châtiment qui com­mence.

— Oui, c'est Marcel, le vieux raffineur, qui vient te demander vengeance pour tout le mal que tu lui as fait.

— Sortez ! monsieur, ou je vous fais chasser, cria Baumont.

— Sortir ! il me faut ta vie avant tout.

Baumont vit le danger et comprit que la moindre hésitation le perdrait.

Prompt comme l'éclair, il s'élança vers son bureau, saisit un pistolet qui se trouvait dans un des tiroirs, et en menaça Marcel.

— Ma vie ! s'écria-t-il, tiens, la voilà !

Il allait faire feu, mais Marcel, non moins prompt, se précipita vers lui, et d'un vigoureux coup lui fit lâcher le pistolet qui tomba à ses pieds.

— Misérable ! lui cria-t-il, il ne te manquait plus que de devenir assassin.

A ce moment, un bruit de voix se fit entendre, des cris plusieurs fois répétés sortaient de la raffinerie et arrivèrent jusqu'à Baumont.

— Nous voulons le voir, criaient les uns!

— Il ne faut pas qu'il parte, hurlaient les autres. Les voix approchèrent peu à peu.

Tout à coup la porte du cabinet s'ouvrit avec fracas, et une foule d'ouvriers fit irruption dans l'appartement.

— Nous l'avons, crièrent les premiers, il n'est pas parti.

Baumont s'avança vers eux :

— Qu'y a-t-il, mes amis, leur demanda-t-il d'un ton calme.

A cette demande, pourtant bien simple, les meneurs se turent. Ils n'espéraient pas trouver Baumont, et ils ne s'étaient montrés si courageux que parce qu'ils le croyaient absent.

Cependant il y en eut un qui se hasarda.

— On nous a dit que vous étiez ruiné, dit-il à Baumont, et que nous ne serions pas payés de cette quinzaine.

— Qui a dit cela ? demanda Baumont. Personne ne répondit.

— Comment, vous n'osez pas répondre, vous qui m'avez si bien su accuser, leur dit Baumont avec énergie... Allons qui a dit cela ?

— C'est Vergez, répondit un des ouvriers.

— Que Vergez vienne ici ! cria Baumont.

Et s'avançant vers son bureau, il tira sa pleine main de louis, fit le compte de l'ouvrier désigné et le régla en lui disant :

— Je ne garde pas chez moi les ouvriers qui ont peur de ne pas être payés.

Puis se tournant vers les autres, il leur cria :

— Qui veut passer à la caisse.

Personne ne bougea.

— Allons, reprit Baumont, je vois que vous n'avez plus peur maintenant, retournez à votre travail, et soyez persuadés que demain il y aura encore assez d’argent pour solder votre quinzaine.

Les ouvriers sortirent et retournèrent à leur travail.

La fanfaronnade de Baumont, qui aurait été embarassé de les payer, avait réussi.

— Maintenant, dit Marcel, je ne crains pas que tu m'échappes, et, quoique satisfaits en apparence les ouvriers auront l’oeil sur toi. Je veux donc encore te donner une planche de salut et me battre loyalement.

— J'accepte, dit Baumont.

— Prends garde, dit Marcel, ne cherche pas à m’échapper ; l'heure de la justice a sonné.

Et il sortit.

— Allons, s'écria Baumont lorsqu'il fut seul, tout n'est pas encore perdu, j'ai mon moyen.

 

 

Chapitre 13. Justice et châtiments.

 

Il avait un moyen en effet, moyen terrible et criminel, qui pouvait le sauver, mais qui devait avoir des conséquences désastreuses.

Ce moyen était l'incendie, et il avait résolu de le mettre à exécution.

Il était assuré pour une somme de trois cent mille francs, et l'incendie de la raffinerie lui mettait cette somme entre les mains et lui faisait obtenir un délai pour le paiement de ses échéances.

Il en profiterait pour quitter furtivement Bordeaux, s'embarquer sur quelque navire et se sauver à l'étranger.

Tel fut le projet que forma Baumont dès qu'il fut seul dans son cabinet.

Enfin la nuit arriva.

Dans la journée, il avait ramassé tous les papiers dont il avait besoin et tout l'argent que renfermait sa caisse.

Onze heures sonnèrent... M. de Germain, qui n'avait pas encore quitté la maison, et qui avait passé la soirée avec sa fille, était depuis près d'une heure entré dans sa chambre.

Baumont sortit doucement de son cabinet, laissant sur son bureau les papiers qu'il devait venir prendre, et descendit dans la raffinerie.

Il prit une torche imbibée de résine, dont se servaient les ouvriers à la veillée, et l'alluma.

Dans un coin de la raffinerie, presque au-dessous des appartements qu'occupaient en ce moment M. de Germain et sa fille, se trouvait une énorme pile de bois qui servait à allumer les chaudières.

Ce fut là que se dirigea Beaumont. Il plaça la torche dans une cavité et souffla dessus pour activer la flamme.

Bientôt un pétillement se fit entendre, et Baumont fut convaincu que son oeuvre criminelle s'accomplissait.

Il croyait avoir du temps devant lui, et il courut dans son cabinet pour s'emparer de tout ce qu'il voulait sauver.

Cependant le feu gagnait toujours et il fallut penser à fuir. Tout à coup il aperçut les flammes.

Il eut peur et voulut se sauver.

Mais dans sa précipitation, il renversa la lumière et se trouva dans l'obscurité.

Il voulut courir, mais un tabouret se trouvant à ses pieds, il trébucha et tomba comme une masse sur le plancher.

Sa tête porta contre un meuble, il ne se releva pas.

Bientôt les flammes envahirent toute la maison, et tout le quartier fut sur pied.

On se mit à l'oeuvre et chacun fit tous ses efforts pour arrêter les progrès de l'incendie.

Tout à coup un cri se fit entendre, et une jeune fille apparut à une fenêtre.

C'était Anaïs de Germain.

— Au secours ! au secours ! criait-elle. Et les flammes apparaissaient derrière elle.

Un second cri partit bientôt après, et M. de Germain apparut à une fenêtre voisine.

— Sauvez ma fille ! S’écriait-il ; je peux mourir, mais sauvez au moins mon enfant.

Les assistants furent glacés. On cherchait partout une échelle et on ne pouvait en trouver.

Et les flammes montaient toujours.

Les deux malheureux étaient perdus, et chacun attendait le moment où le plancher s'écroulant allait les engloutir au milieu des flammes.

Tout à coup un homme, un vieillard presque, fendit la foule et s'adressant aux malheureuses victimes :

— Courage ! leur cria-t-il.

Il pénétra bravement au milieu des flammes.

Cet homme était Marcel.

Il courut au milieu du feu, profitant des endroits épargnés, et monta l'escalier qui, à moitié consumé, menaçait à chaque instant de s'écrouler.

Malgré tous les obstacles, malgré tous les dangers, il fut assez heureux pour arriver à Anaïs et la sauver.

Ce fut aux applaudissements de la foule qu'il la remit entre les mains de Céline, qui lui prodiguait tous les soins que réclamait son état.

On se procura une corde, et M. de Germain put être sauvé au moment où le plancher sur lequel il était venait de s'écrouler.

Cependant Baumont n'était qu'évanoui. Bientôt la chaleur du feu qui augmentait à chaque instant, vint le tirer de son évanouissement et le rappeler à la réalité.

Il aperçut les flammes et mû comme par un ressort, il fut sur pied.

Il voulut fuir, mais l'escalier venait de s'écrouler, il regarda de tous côtés cherchant une issue, mais partout il ne vit que des flammes.

Il comprit qu'il était perdu.

Alors son sang se glaça, un éclair passa devant ses yeux, et il courut à la fenêtre pour s'y précipiter. Mais lorsqu'il aperçut la foule, il recula épouvanté.

— Non, non ! s'écria-t-il, vous voulez me tuer ; mais je veux vivre.

Il voulut fuir, mais les flammes étaient encore devant lui.

Tout à coup sa physionomie s'anima, et il partit d'un éclat de rire :

— Lucien ! Lucien ! s'écriait-il, croyant apercevoir un être invisible au milieu des flammes, viens vite, ta fiancée t'attend pour signer le contrat.

Et il partit d'un nouvel éclat de rire. Le malheureux était fou.

Cependant on l'avait aperçu du dehors et chacun comprenait le danger qu'il courait.

Personne n'osait s'aventurer pour le sauver ; Baumont était méchant et détesté de tout le monde.

Mais cet homme allait mourir ; aurait-on le courage de le voir disparaître sans lui porter secours ?

— Allons ! s'écria Marcel, ce misérable en est indigne, mais je veux le disputer à la mort.

Et, saisissant une échelle qu'on venait d'apporter, il l'appliqua contre le mur.

En un clin d'Å“il, il fut en haut.

Il était trop tard.

Il eut à peine le temps de passer sa tête par-dessus la fenêtre que le plancher s'effondra, et qu'il vit engloutir dans les flammes l'homme qui avait fait le malheur de sa vie.

— Allons, murmura-t-il, en descendant, Dieu lui-même a voulu me venger.

Le lendemain, on retrouva, dans les débris de l’incendie, le corps de Baumont complétement carbonisé.

 

 

Épilogue

 

M. de Germain n'oublia pas que Marcel avait sauvé sa fille. Il fit reconstruire la raffinerie, et le mit à la tête comme il y avait mis autrefois Baumont.

Il mourut l'année suivante en laissant à Marcel la propriété de la raffinerie et une certaine somme pour faire face aux premiers frais.

Joseph fut nommé contremaître.

Céline, qui avait d'abord voulu quitter la vie, se sépara du monde et entra dans un couvent.

A la mort de son père, mademoiselle Anaïs de Germain la suivit, et dès lors elles ne se quittèrent plus.

La raffinerie, dirigée par Marcel, retrouva sa prospérité d'autrefois, et bientôt le vieux raffineur fut à la tête d'une assez belle fortune, dant il usa pour soulager les malheureux, et on ne l'appela bientôt plus dans le quartier que la providence des pauvres.

Il mourut douze ans après, justement regretté et entouré de l'estime de tous.

Marcel n'oublia pas non plus Vertigau auquel il monta un magasin de draperie et de confection qui devint bientôt un des plus beaux établissements de la ville.

Quant à Albert Noysson, il finit comme il devait finir. Il vola pour payer ses dettes et fut envoyé au bagne, où il se rencontra avec le Sinistre et la Terreur.

 

 

 

FIN

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